Ce mercredi 9 avril 2025, la commission d’enquête présidée par Sandrine Rousseau a publié son rapport sur les violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité. De nombreux témoignages poignants ont été recueillis et partagés, démontrant la nécessité de mieux prendre en compte les VSS, de prendre en charge les victimes, ainsi que de renforcer les réglementations et les dispositifs, afin de protéger les femmes et les mineur·es dans ce secteur.
Dans ce rapport, la commission d’enquête constate que “les violences morales, sexistes et sexuelles dans le monde de la culture sont systémiques, endémiques et persistantes.” En effet, il est expliqué que “dès l’école de théâtre, de radio ou de cinéma, on apprend aux jeunes – en particulier aux jeunes femmes –, ce qui les attend. On les y prépare d’ailleurs psychologiquement en perpétuant des techniques d’apprentissage dépassées, fondées sur une forme de maltraitance, morale ou physique dans le cas de la danse : c’est dans la douleur que l’on apprend.” La violence et la souffrance sont normalisées, et sont même idéalisées comme l’a expliqué l’actrice Anna Mouglalis lors de son audition : “souvent, les metteurs en scène cherchent chez les actrices ce que j’appelle une vulnérabilité charismatique. C’est une fragilité qui s’exprime même dans le silence. Elle est particulièrement sensible chez les survivantes – d’inceste, de viol. Cela explique que nous soyons très nombreuses à vivre ce continuum”.
La commission d’enquête fait part également de quelques statistiques de l’étude intitulée “Vécu et ressenti en matière de sécurité” (VRS). Nous y apprenons qu’en 2022 :
- “54 000 femmes auraient été victimes de viol”
- “72 000 auraient été la cible d’une tentative de viol”
- “191 000 agressions sexuelles”
- “230 000 femmes auraient été victimes d’au moins une violence sexuelle physique durant l’année, au total”
- “On estime à 1 million le nombre de cas de harcèlement sexuel visant des femmes durant l’année, contre 158 000 cas visant des hommes”.
Dans ce rapport, nous pouvons aussi retenir certaines citations accablantes provenant de récits anonymisés de victimes de VSS dans le secteur culturel : “le harcèlement, ça n’existe pas, c’est comme MeToo, c’est un effet de mode”, “tu ressembles à une actrice porno […] assise comme ça au milieu de la pièce, tu pourrais te faire gangbang par tout le monde” ou encore “tu as mouillé ta culotte avant de monter sur scène ?”. Malheureusement, les témoignages ne se résument pas qu’à ces derniers, les violences commises sont beaucoup trop nombreuses.
La commission constate également la situation alarmante concernant les violences fréquentes sur les mineur·es dans la culture. Parmi l’immense liste de témoignages, il y a le récit sur un “professeur de danse qui exige d’une enfant de 11 ans qu’elle ‘force’ la cambrure de ses pieds, jusqu’à les briser sous une armoire”, celui sur une “réalisatrice qui baisse de force le pantalon d’un enfant qui refuse de tourner en sous‑vêtements” mais aussi “cette réalisatrice qui rappelle à un enfant le décès de son père pour le mettre en condition avant une scène”, celui sur un “directeur de casting qui demande à une enfant de 13 ans de retirer sa culotte pour la faire tournoyer dans les airs” ou encore sur un “régisseur qui déclare à une actrice de 15 ans qu’il veut ‘lui faire l’amour dans les fesses’”, et bien d’autres encore.
Dans ce rapport, la présidente de la commission d’enquête rappelle alors que “l’exception culturelle s’arrête là où le droit du travail commence et que l’art ou le talent ne pourront jamais excuser la commission de violences relevant du code pénal.” Il faut responsabiliser tous·tes les professionnel·les et les employeur·euses, afin de prévenir les VSS et d’assurer la sécurité de tous·tes.
L’audition du Mouvement HF+.
Pour la réalisation de ce rapport, la commission d’enquête a organisé 85 auditions et tables rondes, ce qui correspond à plus de 118 heures d’échanges. Parmi les 350 professionnel·les qui y ont participé, le Mouvement HF+ avec la représentante de l’assemblée collégiale de la fédération, Sarah Karlikow, ainsi que la représentante d’HF+ Hauts-de-France, Camille Pawlotsky.
Ainsi, le Mouvement HF+ et HF+ Hauts-de-France ont participé à une audition avec d’autres associations et collectifs. Dans cette audition, la problématique de l’invisibilisation des femmes dans la culture a été présentée. En effet, ce déséquilibre, cette invisibilisation provoque des violences, comme l’a expliqué la représentante Camille Pawlotsky : “Invisibiliser un groupe de personnes, des individus ou des groupes, et valoriser la force représentative des dominants a une conséquence directe sur la répartition des pouvoirs. […] Lorsque l’on invisibilise les autres, ils deviennent des personnages secondaires, des personnes jugées indignes d’être valorisées […]. Si leur valeur est perçue comme mineure, elles deviennent des objets de possession, de violence, de manipulation, et subissent une répartition inégale des pouvoirs.” Sarah Karlikow a appuyé ses propos en ajoutant : “L’invisibilisation constitue également une forme de violence. Lorsqu’une femme crée une œuvre, réalise ou co-met en scène, et que seules les contributions masculines sont mises en avant dans les communications, c’est une violence en soi.”
Elles ont notamment été entendues sur les ressorts de la minimisation des violences. En effet, les agressions sexuelles sont minimisées, elles ne sont pas assez prises au sérieux comme le témoigne Sarah Karlikow “on accorde une grande attention aux blessures physiques, mais les agressions sexuelles sont minimisées, probablement en raison de notre société patriarcale.” Les victimes finissent par elles aussi minimiser ce qu’elles ont subi, causé par “une certaine tolérance de la société à l’égard des violences.” Elles se pensent “chanceuses” de ne pas avoir subi “plus”, comme l’indique le rapport : “Très souvent, le premier mouvement de la victime est de considérer qu’elle a ‘de la chance’ d’être ‘seulement’ agressée et non pas violée.” Une animatrice radio témoigne de cet exact ressenti : “J’ai attendu presque deux ans avant de me décider à déposer plainte au commissariat. Je me disais que ce que j’avais vécu n’était pas si grave, que des femmes vivaient des choses bien pires et qu’on n’allait pas porter plainte juste pour une agression sexuelle.”
Les facteurs de risque propices aux violences morales, sexistes et sexuelles.
Lors de la commission d’enquête, certains facteurs contribuant à la continuité des VSS ont été observés et cités. Parmi eux, nous pouvons notamment évoquer :
- La précarité
En effet, la situation fragile de certaines personnes, l’incertitude, l’instabilité professionnelle jouent un rôle sur le risque des violences morales, sexistes et sexuelles dans ces secteurs d’activité. Selon la vice-présidente de la Guilde des scénaristes, Ghislaine Pujol, la précarité est “un accélérateur d’agression car elle empêche les plaintes”. Les personnes les plus affectées par ce facteur seraient les jeunes puisqu’iels débutent dans le monde professionnel et font donc partis des plus précaires, comme il est souligné dans le rapport : “Les jeunes sont particulièrement sujets aux abus en tout genre, car ils font partie des personnes les plus précaires, ayant beaucoup à perdre s’ils refusent les propositions indécentes ou dénoncent les agressions qu’ils subissent.” De cette façon, “la crainte est forte, notamment pour les jeunes débutant dans le métier, de témoigner contre des personnes susceptibles de continuer à les faire travailler, ou de se créer la réputation de ‘faire des histoires’”. Selon les propos de Mélodie Molinaro, fondatrice et présidente de l’association Derrière le Rideau, la précarité a un rôle non-négligeable car elle joue une pression supplémentaire, poussant les victimes et témoins à garder le silence : “Qu’il s’agisse d’intermittents ou de salariés en contrats courts ne change rien : on nous répète à longueur de journée qu’on peut être remplacé si on n’accepte pas tout ce qu’on nous demande. Dans ce milieu, la précarité joue un rôle très important”.
- La hiérarchie
La hiérarchie dans ces secteurs d’activité est également un facteur de risque, puisqu’avec la hiérarchie viennent aussi les rapports de force et les abus de pouvoir. Les personnes ayant une fonction plus haute peuvent exercer une autorité morale sur celles situées à des échelons inférieurs. De cette façon, “une organisation aussi hiérarchisée est un terreau rendant possibles des rapports de force et de domination, par conséquent des abus.” Le rapport souligne également que “la hiérarchie rigide va de pair avec la survalorisation de certaines fonctions, notamment celle du réalisateur, et la dévalorisation d’autres, par exemple les maquilleuses.” Les personnes abusives “disposent toujours d’un pouvoir ou d’une autorité sur les victimes”.
- L’idéalisation de la figure du génie créateur, l’aura artistique
Dans la culture occidentale, la figure du génie créateur est idéalisée, on lui voue une grande admiration. Comme il est mentionné dans le rapport, “la valorisation du cinéaste-auteur lui confère la toute-puissance sur un plateau.” Le génie créateur et l’aura artistique sont donc mis sur un piédestal, et puisque sa création est sacrée : il faut tout sacrifier pour son profit, il faut se soumettre au génie créateur. Comme nous avons pu le voir dans le témoignage de l’actrice Anna Mouglalis, la souffrance est perçue comme une caractéristique nécessaire dans la conception artistique, elle est célébrée comme mentionné dans le rapport : “Cette conception a contribué à propager l’idée selon laquelle la douleur est une composante essentielle d’une créativité exceptionnelle.” Il faut se conformer à la volonté de l’auteur et de sa vision artistique. “De là également l’idée que, si les artistes avec lesquels le réalisateur travaille sont déjà abîmés, fêlés, c’est encore mieux, car cette blessure constitue un point d’entrée, une porte ouverte vers quelque chose d’authentique.” De cette manière, ils cherchent à “exploiter les failles des personnes travaillant sous leur autorité” et de là viennent les abus sous couvert de création artistique.
- Absence de respect des conditions d’emploi des mineur·es
L’une des premières problématiques quant à l’absence de respect des conditions d’emploi des mineur·es, est celle des horaires de travail. En effet, il y a “un dépassement régulier du temps de travail légal pour les enfants” et il n’y a aucun contrôle derrière. Des feuilles de services sont falsifiées, on demande à des personnes exerçant comme scripte (comme dans le cinéma et audiovisuel) de tricher sur les horaires car les heures sont toujours dépassées. Or, les scriptes doivent rédiger des rapports quotidiennement, y compris sur les horaires, comme l’a témoigné une des personnes exerçant cette profession. Elle a également précisé que “ces rapports sont censés faire preuve en cas de problème.”
Il y a également la problématique concernant les situations à risques dans l’emploi des mineur·es. En effet, comme indiqué dans le rapport : “Dans de trop nombreux cas, il apparaît que des mineurs sont placés dans des situations à risque, notamment dans des scènes sexualisées.” Les mineur·es ne sont pas non plus entouré·es par des professionnel·les spécialisé·es, on ne leur procure aucune précaution, ce qui peut être un danger pour leur santé mentale et/ou physique, comme en a témoigné l’actrice Nina Meurisse, qui avait 10 ans lors au moment des faits : “Dans ce film, il y a une scène de viol. Je demande qui va jouer l’homme, et on me répond que la réalisatrice ne veut pas que je le rencontre avant. Je ne comprends pas pourquoi, mais apparemment ce sera mieux pour la scène… On m’explique que je dois marcher et qu’il me collera contre un arbre ; ce sera très simple. Silence, moteur, ça tourne ! Je vois arriver en courant un jeune acteur, qui me saute dessus, qui me prend la poitrine et qui essaie de me soulever la robe. On refera la scène plusieurs fois. J’ai donc 10 ans, je n’ai même jamais embrassé un garçon, je suis tétanisée.” On les manipule, on abuse de leur innocence, de leur angoisse et de leur détresse.
Les recommandations proposées dans le rapport par la commission d’enquête.
Pour la réalisation de ce rapport, la commission d’enquête a organisé 85 auditions et tables rondes, ce qui correspond à plus de 118 heures d’échanges. À l’issue de la commission, 86 recommandations ont été prononcées, voici quelques propositions formulées dans le rapport :
- “Développer les actions de soutien à la création en direction des femmes.” (Recommandation n° 2)
- “Poser le principe d’une interdiction de la sexualisation des mineurs à l’écran et dans les photos de mode, et définir une liste d’exceptions très limitatives.” (Recommandation n° 8)
- “Accroître les moyens de la cellule Audiens pour élargir son périmètre afin qu’elle prenne en charge la totalité des violences, y compris les violences morales, élargir ses horaires et renforcer ses missions d’aide juridique et psychologique.” (Recommandation n° 10)
- “Former l’ensemble des agents de sécurité placés au contact du public au risque de VHSS.” (Recommandation n° 15)
- “Organiser régulièrement des contrôles des productions employant des enfants pour vérifier le respect des règles légales en matière de temps et de conditions de travail.” (Recommandation n° 17)
- “Lancer un vaste plan de lutte contre les violences pédagogiques incluant tous les établissements et toutes les disciplines.” (Recommandation n° 26)
- “Rendre systématique le déclenchement d’une enquête et la réalisation d’actes d’investigation en cas de dépôt de plainte pour des faits de VHSS.” (Recommandation n° 32)
- “Rendre obligatoire la conduite d’enquêtes internes en cas de signalement de VHSS, y compris lorsque la relation de travail a pris fin.” (Recommandation n° 37)
- “Inscrire dans tous les contrats de travail une clause interdisant toute sanction financière, retenue sur salaire ou demande de dommages et intérêts en cas de signalement de faits de VHSS.” (Recommandation n° 42)
- “Rendre obligatoire la présence du représentant légal d’un enfant de moins de 7 ans lors d’un casting, d’un tournage ou d’une représentation.” (Recommandation n° 75 )
- “Étendre l’obligation de présence d’un responsable enfant au spectacle vivant et au mannequinat.” (Recommandation n° 83)
Pour retrouver l’ensemble du rapport d’enquête sur les violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité, cliquez ici.