Vos droits et vos devoirs
Depuis trop longtemps, nous entendons des femmes dire leurs difficultés à travailler dans un environnement parfois ouvertement sexiste, tout en ayant parfois à le subir nous-même. Le dernier témoignage porté à notre connaissance nous a fait réfléchir : c’est fou à quel point nous sommes nombreuses à être concernées ! Comment se fait-il que la loi ne nous protège pas ? Et bien si, la loi nous protège. Mais nous ne le savons pas.
C’est un fléau à considérer impérativement, mais peu évoqué et pris en compte du fait d’une large méconnaissance de ce que c’est, de ce que ça fait et ce que l’on peut ou doit faire. Sans parler de la difficulté à le dire.
1. Les agissements sexistes, qu’est ce que c’est ?
Reprenons les bases. Il y a plusieurs notions à avoir en tête : le sexisme, les violences sexuelles et les violences sexistes.
+ Le sexisme : il est clair que le sexisme est très mal connu et très mal défini. Le Larousse étant assez laconique à ce sujet : « attitude discriminatoire fondée sur le sexe ». Il reste une notion floue voire carrément inconnue pour bon nombre de personnes.
Dans son 1er état des lieux du sexisme en France, le Haut Conseil à l’Égalité en propose donc une définition plus étayée : idéologie qui repose sur le postulat de l’infériorité des femmes par rapport aux hommes, d’une part, et d’autre part, un ensemble de manifestations des plus anodines en apparence (remarques…) aux plus graves (viols, meurtres…). Ces manifestations ont pour objet de délégitimer, stigmatiser, humilier ou violenter les femmes et ont des effets sur elles (estime de soi, santé psychique et physique et modification des comportements).
+ Les violences sexuelles : elles regroupent le viol (tout acte de pénétration sexuelle commis par violence, contrainte, menace ou surprise), les agressions sexuelles (acte à caractère sexuel sans pénétration commis par violence, contrainte ou surprise, y compris le fait de contraindre à se livrer à des activités sexuelles avec un tiers), l’exhibition sexuelle, le voyeurisme (y compris le délit de captation d’images impudiques, avis aux photographes amateurs et professionnels) et l’administration de substances en vue de commettre un viol ou une agression sexuelle.
+ Les violences sexistes : elles n’ont pas de définition juridique stricte et regroupent un large spectre de faits. Parmi elles, on trouve les actes de discrimination en raison du sexe, le harcèlement sexuel, l’outrage sexiste et… Les agissements sexistes.
Les agissements sexistes sont spécifiques au Code du Travail et se limitent donc à la sphère professionnelle. Le Code du Travail dispose que « Nul ne doit subir d’agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». (C. trav., art. L. 1142-2-1).
Ces agissements sont un véritable fléau plus que répandu : ils bénéficient d’une large tolérance sociétale, quand ils ne sont pas carrément encouragés dans certains milieux. Il est donc urgent de savoir qu’ils sont réprimés par la loi. Et lourd de conséquences pour celles qui le subissent, comme pour l’environnement de travail. Et oui… On est en train de parler des remarques sur les vêtements, le corps, la parentalité, la sexualité, des blagues, des coupures de paroles, de propos méprisants en raison du sexe de la personne, de tâches pourtant communes qui échoient systématiquement aux femmes d’une équipe (prise de notes, café, vaisselle…), d’injures. Aïe… Vous voyez un peu l’ampleur du phénomène ?
C’est ce qu’on appelle un phénomène systémique et cette dimension explique en outre qu’il soit possible d’être sexiste sans le vouloir ou même en croyant bien faire sans pour autant considérer sciemment que les femmes sont inférieures. Nous sommes toutes et tous porteur.euses de représentations et conditionné.es par des stéréotypes, souvent de manière inconsciente. Et hommes comme femmes peuvent avoir des agissements sexistes, les encourager ou les tolérer. Chacun et chacune étant imprégné.e de ce système, on donne à nos actes l’apparence d’un choix libre, conscient et assumé.
Le cas des réseaux sociaux : vie privée ou vie professionnelle ?
L’agissement sexiste s’applique au domaine professionnel uniquement, certes. Mais si vous adorez publier des photos ou des propos humiliants/offensants sur les femmes et que vous pensez avoir le droit de le faire sur les réseaux sociaux puisque c’est votre vie « privée », et bien… Oui, si les personnes avec lesquelles vous êtes amenées à travailler n’ont pas accès à vos propos (profil fermé limité à des proches extérieurs à votre métier par exemple). La culture étant un secteur de réseau, ce n’est quasiment jamais le cas. Donc : NON. Mais surtout, ces actes ont des conséquences potentiellement graves pour vos collègues, dont vous ne vous rendez peut-être pas compte. Ou peut-être qu’elles vous l’ont dit et que vous leur avez ri au nez. En fait, afficher votre sexisme de façon publique ou auprès de votre réseau professionnel fait de vous un sexiste notoire. Et vos collègues sont en droit de refuser de travailler avec vous et d’en aviser l’employeur. Soulignons au passage que c’est la même chose pour des propos racistes, homophobes, transphobes, grossophobes, antisémites… En bonus, même hors cadre de travail, vos propos peuvent relever de l’outrage sexiste et vous êtes passible d’une amende.
Zoom sur l’outrage sexiste : c’est la fameuse amende dite de « harcèlement de rue », et on pense à tord qu’elle se limite à la rue ou aux transports en commun, et au cas de harcèlement. Pas du tout. Elle concerne tous les types de lieux, y compris les réseaux sociaux. De même, elle ne se limite pas à des propos ou des comportements à caractère sexuel, mais aussi à des propos ou comportements sexistes.
2. Pourquoi les agissements sexistes sont graves ?
Parce que dans le cadre du travail, se trouver dans un environnement hostile, offensant et/ou humiliant a des répercussions :
- Sur les compétences et les performances professionnelles
- Sur l’estime de soi
- Sur la santé psychique et physique
- Sur le comportement
- Sur les relations entre les membres d’une équipe et sur sa cohérence
- Économiques
Concrètement, ces actes peuvent générer un mal être considérable, conduire la personne en dépression, à avoir peur d’aller travailler, à adapter son comportement et sa tenue vestimentaire, lui procurer des insomnies, à éviter de fréquenter des membres de l’équipe, à perdre sa motivation au travail, à se dévaloriser et à perdre confiance en elle… Tout cela peut vous sembler alarmiste, mais c’est une réalité pour beaucoup de femmes. Vraiment beaucoup.
Les répercussions économiques vont toucher la structure, la compagnie, l’équipe artistique… Mais surtout celles qui subissent ces agissements sexistes : elles peuvent être amenées à refuser des contrats en intermittence avec certaines personnes ou lieux, à être fréquemment en arrêt maladie, à perdre totalement confiance en leurs compétences professionnelles ou artistiques, à démissionner, à abandonner une carrière, à aller travailler dans un autre secteur professionnel… C’est très loin d’être anodin.
Enfin, le ressenti et les effets d’un tel environnement peuvent varier d’une personne à l’autre, mais aussi évoluer avec le temps ou le degré d’exposition. Ce n’est ni à l’employeur ni aux personnes générant d’un tel environnement de juger des effets produits sur la personne, mais à elle-même. Et sa parole doit être entendue et respectée.
A souligner : un des effets du sexisme est de mettre les femmes en concurrence entre elles. Elles peuvent donc ne pas être soutenues par leurs collègues femmes. A contrario, un environnement sexiste peut avoir des effets sur des hommes qui ne cautionnent pas ce type de comportement et générer un mal être chez eux aussi.
Ne pas oublier : ce n’est pas parce que personne ne se plaint pas que tout va bien. Le dire reste très difficile. Nous recommandons aux responsables de structures d’être clair.es sur ces sujets et en posture d’écoute, parfois à revoir leur propre comportement, afin d’inviter les personnes éventuellement touchées à aborder le sujet sans crainte. Mieux vaut agir sur le sexisme ordinaire que d’attendre d’avoir à traiter des faits plus graves.
Pour bien prendre conscience de quoi il s’agit, vous pouvez consulter Paye ta note qui regorge, hélas, d’exemples. Les captures d’écran qui ponctuent cet article en sont issues.
3. Concrètement, comment faire ?
En premier lieu, nous invitons évidemment chacun et chacune à observer son environnement de travail ou son comportement, et le cas échéant à faire en sorte de les faire évoluer.
Dans la culture, le sexisme s’abrite souvent derrière le « talent », laissant libre court à des méthodes de travail qui posent franchement problème. Le metteur en scène qui oblige la comédienne à se mettre nue ou à embrasser quelqu’un alors qu’elle ne le veut pas. Le chorégraphe qui touche les corps des interprètes de façon inappropriée lors de répétitions. Le coach scénique qui exige de la musicienne une posture aguicheuse ou sexuelle sur scène alors que ce n’est pas l’image qu’elle veut donner d’elle. L’enseignant qui a des gestes ou des propos inappropriés envers une élève ou une étudiante. L’organisateur d’un tremplin dont le jury est exclusivement constitué d’hommes.
Autres arguments fréquents derrière lesquels peuvent se cacher les violences sexistes et sexuelles : la liberté d’expression ou la liberté de création. Elles ont des limites, en l’occurrence la loi. Citons par exemple un article de journal qui décrit la performance d’une artiste en des termes sexuels alors que ce n’est pas le propos de l’œuvre, ou le photographe qui prend des photos volées de l’entrejambe de femmes dans les transports en commun.
Dans ces exemples, tellement loin d’être exhaustifs, il y a quelques faits juridiquement qualifiés d’agressions sexuelles. Et d’autres qui sont des agissements sexistes. L’un qui est un cas potentiel de discrimination. A vous de jouer pour trouver lesquels… Tous peuvent être portés devant la justice.
Les cas de figure dans les arts et la culture sont excessivement nombreux : diversité des disciplines, des métiers, des conditions de travail, des partenariats, des lieux de travail, des contrats de travail… Il est impossible de tous les explorer. Cependant, cet article a pour but de vous mettre la puce à l’oreille, de vous encourager à ne plus subir en silence ou à agir en tant qu’employeur ou employeuse.
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DANS LE CAS D’UN LIEN DE SUBORDINATION
Vous êtes employeur ou employeuse : de la scène nationale au bar qui organise des concerts, en passant par le responsable d’un tournage, quelles sont vos responsabilités ?
Une de vos salariées (y compris une intermittente ou toute personne ayant même momentanément un lien de subordination avec vous) vous fait part d’un problème. Le sexisme est un risque psychosocial à part entière et relève de votre responsabilité en la matière. Ne niez pas ou ne minimisez pas sa situation ou son ressenti : vous n’êtes pas à sa place. Vous êtes dans l’obligation d’agir voire de la mettre en sécurité en ne la mettant plus en contact avec la personne ou en faisant cesser ces agissements.
Concrètement, en premier lieu, recadrez la personne fautive de manière ferme. Si nécessaire, faites-en sorte que les personnes concernées ne collaborent plus, ce qui peut aller d’un changement de bureau, en passant par un aménagement des missions, jusqu’au licenciement de la personne fautive ou à la non reconduction de ses contrats. Cette personne peut faire partie de votre équipe permanente, être un artiste programmé, un technicien qui intervient ponctuellement… Si c’est un prestataire, vous ne devez plus mettre votre salariée en contact avec lui. Il est possible que la personne qui tient de tels propos ou a un tel comportement soit doté d’un certain pouvoir, réel ou symbolique, comme un artiste par exemple, et que cela vous pose un sérieux dilemme. Si vous choisissez de ne pas reconduire le contrat intermittent de la personne qui vous a signalé les faits, il s’agit cette fois de discrimination. Il vous est recommandé de bien prendre en compte les conséquences potentielles de vos choix en matière de recrutement et d’agir dès lors que quelque chose d’anormal est rapporté, afin d’en limiter les potentielles conséquences. Un ferme rappel à l’ordre au technicien qui s‘est permis des remarques peut suffire. Mais il faut le faire et être clair.e.
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Vous êtes salariée : artiste en représentation, chargée de production intermittente ou programmatrice salariée permanente. Vous êtes dans ce cas de figure si vous êtes en CDD, en CDI, en CDDU ou en droits d’auteur salariée compte tenu du caractère régulier et constant de vos interventions dans le cadre d’un service organisé. Vous êtes amenée à travailler avec une ou des personnes qui génèrent chez vous un sentiment d’insécurité, ont un comportement hostile, offensant, humiliant du fait que vous êtes une femme, ou sont notoirement connues pour des faits sexistes, quelle qu’en soit la gravité. Il faut en parler à votre employeur et en laisser une trace écrite (voir la Boîte à Outils de l’AVFT). Dans certains cas, vous pouvez compléter par une main courante ou une plainte.
Zoom sur la plateforme de signalement des violences sexistes et sexuelles :
le Ministère de l’Intérieur a mis en ligne un outil de signalement des violences sexistes et sexuelles. Nous l’avons testée à 3 reprises, dans 3 villes différentes, et cette plateforme constitue indubitablement un outil incontournable dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Pourquoi ? Tout est dans le fonctionnement. On sait à quel point dire est difficile, à quel point la parole est mise en doute et on connait la crainte de faire face à un.e policier.e et à ses questions.
Il s’agit là d’un chat anonyme accessible 24 heures sur 24, lors duquel vous pouvez échanger avec un.e policier.e formé.e. La personne va vous aider à qualifier les faits, vous indiquer les démarches que vous pouvez faire, vous écouter, vous orienter et le cas échéant vous proposer un RDV pour un dépôt de plainte. Ainsi, en toute sécurité, vous pouvez dire et être entendue, de chez vous ou n’importe où ailleurs. Cette plateforme s’adresse également aux témoins. Et toutes les formes de violences sexuelles et sexistes sont concernées, y compris les agissements sexistes et les outrages sexistes.
Pour y accéder, cliquez ici.
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Vous êtes témoin : avisez en l’employeur ou l’organisateur de l’évènement sur lequel vous vous trouvez et produisez une trace écrite. Le service de police en ligne dédié aux violences sexistes peut vous aider et vous orienter.
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–> De nombreux autres cas de figures existent, si vous n’êtes pas concerné.es par un de ceux ci, vous pouvez vous rapprocher d’organismes tels que l’AVFT.
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Quelques idées…
- Former les équipes
- Nommer un.e référent.e formé.e sur le sujet vers qui les personnes victimes ou témoins d’agissements sexistes peuvent s’orienter au sein de votre structure. Les encourager à parler et les assurer que les situations seront prises en compte sans répercussion sur elles.
- Avoir un discours clair et ferme sur le sujet. L’inscrire dans le règlement intérieur est une obligation. Vous pouvez également l’intégrer dans les contrats de travail et mettre en place un rappel oral de ces dispositions à chaque embauche, même pour un CDDU de quelques heures. Pensez à traduire ces dispositions si vous travaillez avec des personnes étrangères.
- Écouter sans juger ni minimiser ni dramatiser, prendre en compte et agir. Dans bien des cas, un rappel à l’ordre est suffisant.
Pour conclure, si vous vous trouvez dans une situation telle que celles décrites, quel que soit votre statut, prenez contact avec votre employeur, les représentant.es du personnel, les syndicats, un.e avocat.e ou orientez-vous vers ce service de signalement des violences sexuelles e qui vient d’être mis en place pour dialoguer anonymement avec un.e policier.e dès lors que vous êtes victime ou témoin de violences sexistes et sexuelles. Elle ou il vous écoutera, vous conseillera et vous orientera. Il n’y a pas de « petites choses sans importance ».
A chacun et chacune de bien y réfléchir et d’adapter son comportement afin de trouver toutes et tous ensemble un cadre de travail respectueux des un.es et des autres.
A lire ou consulter : le 1er rapport sur le sexisme en France publié par le HCE.
Le site de l’AVFT (Association Européenne contre les Violences Faites aux Femmes au Travail)
Cet article a été écrit par HF Bretagne avec l’appui d’un avocat et d’autres personnes référentes sur le sujet. Nous les remercions pour leur appui, leur efficacité et leur engagement.